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 Charles Taylor, la sagesse du libéralisme

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OmbreBlanche
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OmbreBlanche

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MessageSujet: Charles Taylor, la sagesse du libéralisme   Charles Taylor, la sagesse du libéralisme Icon_minitimeJeu 17 Mar 2011 - 7:59

Charles Taylor : "La société moderne se fonde de plus en plus sur la discipline"

Le Point.fr - Publié le 15/03/2011 à 17:04 - Modifié le 15/03/2011 à 17:08

Selon cette figure emblématique de l'éthique communautariste, le libéralisme implique de laisser l'individu organiser sa vie comme il le désire tant qu'il n'entrave pas celle des autres. Quitte à choquer.

Charles Taylor, la sagesse du libéralisme Taylor-268535-jpg_160092

Comment un individu se définit-il aujourd'hui ? Par sa langue, son pays, sa religion ? Par son pays, son équipe de football, ou ses orientations sexuelles ? Ces questions sur "l'identité moderne" sont au cœur des recherches que mène le Canadien Charles Taylor, aujourd'hui professeur émérite de l'université McGill (Montréal).

Le Point.fr : Vous passez pour un apôtre du communautarisme. En France, autant parler du diable... À quoi attribuez-vous cette allergie française ?

Charles Taylor :
D'abord à un fâcheux contresens, qui vient du mot lui-même. En anglais, il a en effet deux sens, qu'on ne retrouve pas en français. On peut être communautarian, au sens où l'est par exemple le sociologue américain Amitai Etzioni, et cela équivaut pratiquement au républicanisme français. C'est une philosophie de la communauté nationale envers laquelle ses membres ont des responsabilités et des devoirs. L'autre sens, le seul retenu en français, renvoie plutôt aux communautés qui existent à l'intérieur d'un pays, les "communautés culturelles", comme on les appelle au Québec. En français, l'idée d'une "philosophie communautariste" pourrait laisser entendre que cette philosophie cherche à favoriser les replis communautaires. Mais que les Français se rassurent : aucun philosophe, ni aucun pays, dans le monde occidental, ne prône cette forme-là de communautarisme. C'est un mythe tenace, mais rien qu'un mythe ! Je me considère plutôt communautariste au sens où l'entend Amitai Etzioni : je crois que la société est davantage qu'un ensemble d'individus isolés, et qu'il existe dans les sociétés libérales modernes des normes universelles, comme les droits de l'homme, que tout le monde doit respecter.

Mais vous êtes plutôt conciliant envers la politique multiculturelle du Canada. Dans le rapport de la commission que vous avez codirigée avec le sociologue Gérard Bouchard, vous préconisez même un "interculturalisme"...

Ces termes n'ont rien à voir avec une politique favorable à la création des ghettos, et il faut absolument les replacer dans leur contexte. Le Canada est depuis la fin du XIXe siècle un pays d'immigration, et qui se définit en fonction de celle-ci. Ce n'est pas le cas de pays européens comme la France qui, même si elle accueille des étrangers, ne se définit pas en premier lieu à partir de l'immigration.

Le multiculturalisme canadien est tout simplement une politique d'intégration, qui vise justement à décloisonner les communautés d'immigrants. Cette politique se soucie d'enseigner à tous les immigrants les deux langues nationales (anglais et français) ; elle veut favoriser une politique de contact, d'ouverture et de dialogue culturel, pour éviter les replis communautaires. Quant à l'interculturalisme, ce n'est pas bien différent. À cette différence près qu'au Québec, il fallait que la politique d'intégration puisse tenir compte d'un élément fondamental aux yeux de la population : la survie de la langue française. L'interculturalisme souligne cette spécificité. Mais le multiculturalisme et l'interculturalisme ne diffèrent pas fondamentalement - ce n'est certainement pas la différence entre une politique qui favoriserait l'immigration et une autre qui ne le ferait pas.

La laïcité n'est-elle pas une façon plus simple de gérer les différences ?

L'histoire de la laïcité est très riche et complexe, y compris en France. Il y a plusieurs traditions, certaines tendances sont plus ouvertes, d'autres plus fermées. On ne peut pas ramener toutes ces tendances à la laïcité, comme on le fait aujourd'hui en France.

Que pensez-vous du débat sur l'identité nationale tel qu'il s'est posé en France au cours des derniers mois ?

C'est un débat empoisonné, dont les motivations politiques sont extrêmement suspectes. Il porte surtout sur l'Autre, et non pas d'abord sur les Français. Car il ne faut pas se voiler la face: au fond, la question soulevée est de savoir si les étrangers sont compatibles ou non avec "l'identité française". Ce n'est pas vraiment une réflexion sur les normes auxquelles tiennent les Français, mais une tentative de tirer une ligne de démarcation. Le problème, c'est que des immigrants se trouvent ainsi soupçonnés de communautarisme (ici, au mauvais sens du terme), même s'ils ne recherchent pas nécessairement ce but-là. On cherche à les mettre dans une position de minorisation pour pouvoir ensuite justifier des mesures à leur encontre. C'est donc un débat qui divise, qui crée des tensions énormes dans la société, et une société libérale doit éviter ce genre de dérapage.

Vous êtes contre l'interdiction totale de la burqa telle que l'envisage le gouvernement français. Mais son principe est pourtant de préserver la liberté de la femme.

Le projet de loi français est à mon avis très problématique dans la perspective d'une société moderne libérale, et même d'une société de droit. On ne peut évidemment pas porter la burqa dans certaines situations, à l'école, et pour des raisons de sécurité ou d'identification de la personne, par exemple. Mais de là à interdire de pouvoir sortir de sa maison avec une burqa ! C'est une mesure farouchement antilibérale. Invoquer l'idée qu'il s'agit de protéger la liberté individuelle des femmes ne suffit pas : on ne connaît pas leurs motivations. Les recherches sociologiques montrent d'ailleurs que celles-ci sont variées. De jeunes femmes vont, par exemple, porter le voile ou la burqa pour se révolter contre leurs parents, une motivation bien occidentale ! Au fond, la vraie question est de savoir qui doit décider de la signification du port de ce type de vêtement. Le gouvernement ? Ou l'individu lui-même ? Il me semble qu'en l'absence de preuve probante, le principe de liberté, au fondement de notre société, exige qu'on opte pour la dernière réponse. Il faut accepter que les autres décident librement de leur vie tant qu'ils n'entravent pas la nôtre, et même quand cela nous choque. Sinon, on revient au bon vieux paternalisme d'autrefois, à la Genève de Calvin, ou à l'Iran de Mahmoud Ahmadinejad.

C'est ainsi que vous définissez l'identité moderne dans votre livre Les sources du moi ?

En effet, un individu peut se définir lui-même. C'était différent à d'autres époques, au Moyen Âge par exemple. Le fait d'accorder autant d'importance à l'identité individuelle est quelque chose de récent. Aujourd'hui, on reconnaît que les individus ont un rôle à jouer dans la définition de leur propre identité. Évidemment, personne ne peut se définir totalement, et chacun s'inscrit dans un contexte et des traditions spécifiques. Mais il est admis que les individus peuvent, dans une certaine mesure, choisir parmi ces traditions celles qui leur conviennent, ou tenter de les redéfinir, comme l'ont fait les mouvements féministes ou gays ces dernières années. Ce phénomène s'est d'ailleurs accentué dans la deuxième moitié du XXe siècle, avec ce que j'appelle "l'ère de l'authenticité". C'est l'époque où fleurissent, par exemple, les théories et les pratiques du "développement personnel". Il faut prendre la mesure de ce fait : la quête de soi est un aspect fondamental de l'identité moderne.

Ne vient-elle pas naturellement du déclin de la religion ?

C'est une vision trop simpliste. Nos sociétés modernes occidentales n'ont certes plus de fondation unique philosophico-religieuse. Mais on a longtemps associé ce processus de sécularisation à une marginalisation de la religion qui conduirait finalement à sa disparition. J'ai montré dans A Secular Age que la sécularisation est un phénomène beaucoup plus complexe, qui d'ailleurs résiste à toute généralisation. Prenez, dans l'ancien bloc de l'Est, le cas de l'ancienne RDA. L'athéisme y est majoritaire. Mais dans la Pologne voisine, anciennement communiste elle aussi, c'est tout le contraire. Et aux États-Unis, pays capitaliste et libéral, des sondages ont révélé que 90% de la population croit en Dieu ou en une force spirituelle supérieure. Alors, certes, on ne légifère plus dans les pays occidentaux en fonction des autorités religieuses, mais l'évolution vers la sécularisation va de pair avec des niveaux de participation religieuse très différents. Quand Nietzsche annonce, au chapitre 125 de son livre Le gai savoir, avec une image poétique très forte, que "Dieu est mort", certains s'y retrouveront, d'autres pas. Il y a certainement une part de vrai dans ce qu'il déclare, mais on se trompe si on y voit une vérité valable pour tous.

C'est donc une autre approche de l'histoire que je propose. Je pense, en effet, que nous allons vers davantage de diversification dans le rapport à la religion et, plus généralement, dans la façon de penser les critères d'une vie bonne. J'ai employé le concept d'hyper-nova pour illustrer ce phénomène de diversification toujours plus complexe. C'est là un autre trait de notre monde sécularisé, à savoir qu'il faut fonctionner avec une pluralité de fondements. Les assises de notre société sont plurielles, ou pluralistes, ce qui n'était pas le cas dans le passé. Si vous reculez de deux siècles, vous aurez des sociétés qui étaient entièrement fondées sur le christianisme. Nous n'en sommes plus là : nous cherchons à nous sentir en accord avec des principes qui reflètent nos convictions intimes.

La sécularisation marque-t-elle pour vous un progrès? Un brin de nostalgie semble percer dans vos propos...

C'est une tendance générale vers le mieux. Les droits de l'homme, la possibilité laissée à chacun de se définir, etc., marquent des progrès, et il n'est pas question de revenir à l'Ancien Régime ! Mais il y a aussi des éléments négatifs dans cette évolution, entre autres le fait que la société moderne se fonde de plus en plus sur la discipline, comme l'a très bien montré Foucault. Ce qui entraîne aussi le refoulement de pans entiers de la vie humaine.

Nous sommes refoulés ?

À certains égards, oui. Prenez le carnaval qui, au Moyen Âge, permettait d'inverser en public les rôles sociaux, de marquer une pause l'espace d'un jour, de rappeler le sens de la communauté humaine par-delà les divisions de la vie courante. Ce genre de festivités publiques ̶- on pourrait citer aussi les bals ̶-, a pratiquement disparu. Dans le privé, on se permet tout, mais dans le public, nous restons très disciplinés. Nous avons du mal à prendre contact avec certains de nos désirs profonds.

Sources: lepoint.fr
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http://lemondeenquestions.forumactif.com/index.htm
 

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